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Villages de Perpignan « La fête de l'ours témoigne de la survivance de rites anciens »Comment est née votre passion pour la fête de l'ours ?Dans ma ville, à Arles-sur-Tech, ils ont arrêté de commémorer la véritable fête de l'ours entre 1966 et 1986, quand ma génération s'apprêtait à prendre la relève. Durant cette période, la fête se déroulait en été. Elle s'était éloignée de la rue et ressemblait plus à un piège à touristes qu'à autre chose. Moi qui étais un inconditionnel de la fête hivernale, j'ai vécu ça comme un drame personnel.
Quand la fête de l'ours d'Arles a-t-elle renoué avec la tradition ?C'était en 1986. Après deux ans d'enquête sur le terrain, j'ai décidé de ressusciter la tradition originale en m'appuyant sur un noyau dur de nostalgiques. Cependant, notre démarche n'avait rien de traditionaliste. Elle visait avant tout à répondre aux attentes d'une partie de la population. Pendant cinq ans, j'ai organisé la fête pratiquement seul. Mais beaucoup de gens me soutenaient. Je considérais qu'on devait financer la fête de l'ours sans subventions pour être vraiment libres.
Qu'est-ce qui vous a poussé à vous rapprocher des organisateurs des autres fêtes de l'ours du Vallespir ?Au bout de cinq ans, en 1991, le maire de l'époque m'a annulé la fête de l'ours sous prétexte que c'était la guerre du Golfe. A partir du moment où j'ai vu que j'étais persona non grata à Arles-sur-Tech, je suis allé me réfugier chez mes alter ego de Prats-de-Mollo et de Saint-Laurent-de-Cerdans, Jean Villalongue et Georges Canton. Ils m'ont adopté et, en échange, je leur ai donné un coup de main pour organiser leurs festivités, qui étaient pour leur part maintenues. Ils m'ont vraiment accueilli à bras ouverts. Et c'est grâce à cela que j'ai découvert l'ethnologie comparée ! De fil en aiguille, j'ai en effet commencé à m'intéresser aux autres fêtes de l'ours du monde.
Quelle est l'origine de toutes ces fêtes ?La fête de l'ours témoigne d'une survivance de rites anciens dans différents pays de l'hémisphère nord. De la Sibérie au Japon en passant par les pays balkaniques. Dans les variantes méditerranéennes, elle s'inspire notamment de mythes grecs. Comme celui de la nymphe Callisto, qui a eu commerce avec le dieu Zeus. Pour se venger, l'épouse de ce dernier, Héra, a banni la nymphe dans le ciel où elle est devenue la constellation de la grande ourse.
Y a-t-il eu par le passé un culte de l'ours à Arles ?Contrairement aux chamans de Sibérie, qui sacrifient un véritable ours à la fin de leur fête, nous faisons une parodie. Il n'y a jamais eu de culte de l'ours à proprement parler ici. Avant l'arrivée du catholicisme, notre religion primitive était axée autour du culte de divinités sylvestres, les simiots. Cependant, dès l'an mille, l'Église a éradiqué les mentalités païennes. Et l'ours en a également fait les frais. Les religieux ont en effet instauré la fête de la purification de la vierge le 2 février, jour dédié à la sortie d'hibernation de l'ours dans les antiques calendriers d'inspiration lunaire.
En quoi la symbolique de l'ours était-elle dangereuse pour le christianisme ?Quand on rase l'ours, on l'humanise. Dans les mentalités anciennes, les gens pensaient que l'ours était l'ancêtre de l'homme. Cela allait à l'encontre du récit biblique de la création. Par ailleurs, l'ours incarne une sexualité débridée. Il est l'homme sauvage qui vient régénérer l'ethnie.
A quelle époque est née la fête de l'ours locale ?Au XIIIe siècle, le culte catholique a commencé à connaître un léger repli. C'est alors que la sève païenne s'est mise à ressurgir. Les rites de chasse mettent en évidence le retour de l'ours. Quand les chasseurs revenaient avec un ours, ils étaient accueillis en héros, car ils avaient tué la « mala bestia ». Et cela donnait lieu à de grandes réjouissances au cours desquelles on donnait à la dépouille de l'ours des vertus imaginaires (sexualité féconde, etc). Les années où il n'y avait pas d'ours, un homme se déguisait en bête et poursuivait les femmes. On lui faisait faire des jeux montrant qu'il avait parfois un comportement très humain. C'est ainsi que tout a commencé.
Propos recueillis par Arnaud Andreu