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Votations sur un avocat pour les animaux
Evolution du rapport de l'homme à l'animal: histoire et commentaire
Laurent Auberson est archéologue et historien. Il mène des recherches sur l'histoire du rapport entre l'homme et l'animal dans les sociétés occidentales. Ses études l'ont conduit à considérer ce rapport de l'Antiquité au XIXe siècle.
Nous souhaitons par cette interview vous proposer une prise de recul par rapport au rôle que joue l'animal dans notre société contemporaine.
Comment a évolué le rapport de l'homme à l'animal dans la société occidentale?
A l'origine de notre civilisation, il y a d'abord l'Antiquité gréco-romaine puis la rupture judéo-chrétienne. La civilisation actuelle résulte de ce double héritage. La mentalité gréco-romaine était peuplée d'un panthéon d'animaux-divinités et d'êtres hybrides à l'image des centaures, des sirènes et du minotaure caractérisant une société païenne ou l'homme est considéré comme une composante de la nature.
Il y a aussi eu dans l'Antiquité des philosophes qui ont reconnu l'intelligence de certains animaux et le respect qu'elle devait inspirer. Un courant végétarien (fondé par Pythagore), marginal, s'est même développé par respect explicite pour l'être vivant qu'est l'animal.
Puis surviennent les trois religions monothéistes révélées, en particulier le judéo-christianisme, où Dieu confie à l'homme la mission de prendre soin de la Création. Du coup l'homme acquiert un statut différent. Il n'appartient plus à la nature, il en est exclu, il lui devient supérieur.
Quelles furent les grandes étapes de cette évolution?
Dans l'Antiquité, Aristote fut un des premiers savants à privilégier une approche scientifique de l'animal. Il considérait l'homme comme la forme la plus achevée de la nature en le qualifiant «d'animal politique».
Au IIe siècle, en Syrie, est écrit, par un auteur inconnu, le Physiologos; un ouvrage de tradition chrétienne qui a été largement traduit et qui a influencé de manière déterminante le rapport de l'homme à l'animal durant tout le Moyen Age.
Cet écrit prête aux animaux des caractères immuables à l'origine de nombreuses fables publiées tout au long du Moyen Age. Ainsi, le chat noir serait diabolique, le serpent perverti, l'agneau doux et bienveillant. Des caractéristiques, bonnes ou mauvaises, sont attribuées à la nature même de l'animal.
Avant la Renaissance encore, au XIIIe siècle, Albert Le Grand, maître de Thomas d'Aquin, remet Aristote à l'honneur. Son disciple, dans son système théologique, entrevoit les premiers éléments de ce qui bien plus tard sera qualifié de pyramide alimentaire.
Puis au XVIIIe siècle, Buffon et Linné font avancer de manière déterminante la connaissance. Observations, dissections et taxonomie animale sont leurs disciplines, loupes, microscopes et scalpels leurs instruments. L'observation conduit alors à identifier des animaux capables d'anticipation, d'adaptation, de prévision, de mémoire et de ruse.
On commence alors à reconnaître une forme d'intelligence aux animaux. Ce n'est à l'époque qu'un débat d'érudit, le peuple ayant d'autres pré- occupations. C'est aussi le début d'une prise de conscience de l'action destructive que peut avoir l'homme sur l'environnement.
Comment cela a-t-il influencé le rapport de l'homme à l'animal?
La reconnaissance systématique d'une intelligence, d'une sensibilité, d'une souffrance animale est née essentiellement au XVIIIe siècle dans la pensée anglaise en réponse notamment à des pratiques de chasse sadiques d'une extrême cruauté.
La chasse était un droit seigneurial et la domination de l'homme sur l'animal était le reflet d'un ordre social inégalitaire. La domination de l'homme n'était pas perçue comme une responsabilité face à la Création mais une supériorité autorisant tous les excès.
Il est intéressant d'observer que la mise en cause des prérogatives de la noblesse dans ses droits absolus vis-à-vis de l'homme est apparue en même temps que la première formulation d'un droit des animaux.
La révolution, les Droits de l'Homme, le respect des animaux et de la Création sont nés à la fin du XVIIIe siècle en réponse à tous les excès de la noblesse. Ainsi donc, le nouvel ordre social né de ces mouvements influence non seulement le rapport des hommes entre eux, mais également le rapport de l'homme à l'animal.
Comment la religion chrétienne influence-t-elle ce rapport?
Très clairement, la pensée chrétienne place l'homme au-dessus de l'animal. De ce statut de supériorité découle ipso facto une responsabilité de protection à l'égard de la Création. Mais les interprétations sont multiples: certains conçoivent que cette supériorité autorise à une domination alors que d'autres y voient une responsabilité de protection des individus et des espèces.
Quelles places accordent les différentes religions à l'animal?
En opposition aux religions monothéistes, les religions chamaniques d'Afrique, de Sibérie et d'Amérique du Nord ne dissocient pas l'homme du reste du vivant. Cela implique qu'appartenant à cet ensemble vivant, l'homme communique avec les plantes et les animaux.
Une caractéristique de cette pensée est que la vie est un cycle dont la mort n'est qu'une étape particulière. L'homme n'a pas un statut supérieur à l'animal. La mort de l'un ou de l'autre sont de même niveau.
Une philosophie impliquant que l'homme vit avec la nature et non contre elle. La chasse revêt alors une autre dimension. On chasse pour se nourrir et non pour la maîtrise de l'animal. En Amérique du Nord, l'arrivée de l'homme blanc a influencé les pratiques des tribus indiennes. Le commerce des peaux et des fourrures a changé le rapport aux animaux.
Les Aborigènes ont été influencés par une logique judéo-chrétienne autorisant la domination de la Création, son exploitation à des fins commerciales. On chasse désormais pour vendre les peaux.
Connaît-on, dans l'histoire, des épisodes où les animaux occupent la justice et les avocats?
Oui, mais ces jugements n'ont jamais eu comme intention la défense ou la protection d'un animal. Au contraire, les animaux étaient les victimes du jugement. Ainsi, on a vu à Lausanne au Moyen Age des procès conduits avec le plus sérieux des formalismes juridiques.
En l'occurrence, l'animal était un bouc émissaire jugé comme pour conjurer un sort, tenter de rendre justice après une catastrophe naturelle. Comme pour affirmer que, quoi qu'il advienne, l'Homme, en la jugeant, gardait la main sur la nature. On a par exemple jugé des vers après une épidémie dans des cultures.
Le progrès scientifique, la sélection, la génétique, ont-ils changé le rapport aux animaux ?
Oui. L'évolution des connaissances scientifiques, les apports de Darwin et les théories sur l'évolution et sur la sélection naturelle ont amené à une distinction différente entre homme et animal.
Si le christianisme considère que l'un et l'autre sont de nature différente, les faits scientifiques actuels tendent à reconnaître une différence de degré plutôt que de nature. Ainsi, l'homme serait une forme de vie de même nature et de même origine que l'animal tout en étant beaucoup plus avancé dans son degré d'évolution.
Propos recueillis par Christian Pidoux