Voici l'article promis dans la discussion dans ma présentation.
Je souhaite ici présenter une petite analyse de mon cru à propos d’une figure hagiographique de la Tradition Chrétienne. Mon approche n’est pas scientifique (ce n’est pas mon but), elle combine ressources littéraires, association libre et jeux de mots (comme en analyse de rêves), Hermétisme, intuition et comparaison de l’iconographie sans se soucier des éventuelles « incompatibilités conceptuelles » entre courants spirituels.
Cette approche « sauvage » me permet d’envisager une continuité entre certaines divinités païennes et les « Dieux Chrétiens déguisés» que sont les Saints Catholiques (là, je n’invente rien, c’est connu). Les figures de la légende dorée sont en partie le refuge du paganisme recouvert d’un vernis Chrétien, les puissances divines ayant eu recourt aux « masques » pour traverser les siècles. Les personnages les plus intéressants sont toujours ceux qui ont été ou sont toujours très honorés dans les campagnes et villages, particulièrement les Saints et Saintes virés du catalogue en 1969 pour carence de traces historiques fiables… et pour vraisemblables fables. Ces derniers, confinés aux calendriers locaux, sont généralement au centre de fêtes devenues aujourd’hui laïques, avec nombreuses réjouissances festives et bribes de rites dégradés.
Le vivier folklorique des Saints d’Europe, en faisant abstraction de la multinationale cléricale qui en a bien profité avant de se sentir chargée d’un fardeau compromettant, renferme des trésors de symboles pour les païens modernes. A mon sens, c’est dans les cultes populaires que la conscience païenne et ses Traditions se sont condensées pour échapper aux diverses chasses aux hérésies. Leur étude peut donner des pistes de compréhension symbolique, des indications de lieux et des points de contacts avec des égrégores toujours actifs. Personnellement, je n’hésite pas à aller honorer une divinité précise dans un sanctuaire Chrétien (anciens sanctuaires bien-entendu, qui respectent les lois de la géométrie sacrée et des courants telluriques) lorsque j’ai un soupçon sur celui qui se cache derrière le pauvre martyr. Et tant pis pour ceux (des païens) qui m’ont traités de « catho refoulé », ce sont les cathos qui sont des païens refoulés !
Je souhaite ici aborder le cas de Sainte Barbe. Mon hypothèse est qu’il s’agit d’une survivance du culte de Rhéa-Cybèle.
Histoire :
Selon la légende et ses diverses versions, Sainte Barbe est native de Nicomédie ou Héliopolis et est morte martyre à Rome (ou ailleurs…) en 235, 300 ou 313. Son père (parfois un satrape Perse du nom de Dioscure ou un riche Romain) la fait enfermer dans une tour soit pour la préserver de l’idolâtrie quand il est Chrétien, soit pour la préserver de la foi Chrétienne s’il s’agit d’un Païen. Dans les deux cas, Barbe est réputée comme une somptueuse beauté et va recevoir, isolée du monde toute la somme de la connaissance de l’époque par l’intermédiaire de livres, de philosophes et de religieux. La tour est bien entendue gardée et comporte deux fenêtre. Sa seule compagnie permanente est une servante du nom de Gala. La réputation de son savoir se répand dans Rome (ou ailleurs) et le Consul Dioscurus (ou son père païen choqué de sa conversion malgré son enfermement) souhaite en avoir le cœur net et investi la prison avec sa garde afin de lui faire renier sa foi. Bien entendu, elle refuse, elle réalise l’apologie du Dieu unique en lien avec la Sagesse de l’époque. Dans la version où son père est Dioscure, elle profite de son absence pour faire tailler une troisième fenêtre dans la tour (symbole de la Trinité) et lorsque son père veut la tuer, elle s’enfuit et se cache dans une anfractuosité de rocher qui s’ouvre miraculeusement devant elle. Trahie par un berger, elle est bien entendu retrouvée. Elle sera donc martyrisée avec des crochets et des peignes de fer, un lit de tessons et des lames rougies au feu et ensuite décapitée sur une montagne. Le méchant païen, consul ou père, sera ensuite foudroyé immédiatement sur cette même montagne.
Attributions :
En lien avec son histoire, elle protège du feu, de la foudre, elle soigne les brûlures dues au feu et explosion. Elle est la patronne des mineurs, des pompiers, des ingénieurs, des artilleurs, des artificiers, des carriers, des plafonneurs, des étudiants et de nombre d’autres métiers associés de près ou de loin à son histoire (des marins : La « Sainte Barbe » désignant la réserve de poudre sur les navires, des brossiers : ils fabriquaient jadis les brosses avec du poil de chèvre). Elle protège également des serpents et autres venimeux, est garante d’une bonne mort et est invoquée pour obtenir une fine pluie douce et fécondante. Sa légende l’associe aussi à la possession de la « pierre-fougère », pierre noire que l’on trouve au pied des fougères en forêt et qui préserve de la foudre.
Iconographie :
Adolescente ou femme de grande beauté accompagnée d’un paon (symbole d’immortalité, de résurrection et de lutte contre les péchés – le paon mange des serpents et autres « nuisibles », cfr Bouddhisme). Elle porte des vêtements rose, bleu clair, safran ; ainsi qu’une cape rouge lie de vin ou verte. Ses symboles sont : le livre (et non la bible), le ciboire surmonté d’une hostie, l’épée pointe en bas dans sa main gauche, la palme, la tour à trois fenêtres, une grosse pierre, une lanterne de mineur, une fougère.
Culte :
Sa plus vieille représentation se trouve à Rome (Santa Maria Antica – 8ème siècle). Elle est également nommée Barbara (c’était une « barbare » dont on ne connaissait pas le nom disent certaines versions de son mythe) ou Barbie. Son culte se développe surtout en orient et se répand ensuite en Europe au 15ème siècle (elle fera partie des « Quatorze Intercesseurs », aujourd’hui presque tous aux oubliettes du Sanatorium d’Arkham avec le Joker et Grand Cthulhu). La majeure partie de ses fidèles sera constituée des mineurs (métaux, sel et ensuite charbon). Ses lieux de culte se trouvent à l’entrée des galeries, dans des petites grottes ou au plus profond des mines. Des messes seront célébrées sous terre en son nom et les confréries autorisées à porter sa statue et reliques seront composées uniquement de familles de mineurs. Elle est encore très populaire en Allemagne, en Belgique, en France… et au Brésil (confondue avec une divinité locale de la foudre). Evidemment, la désaffection des grands bassins miniers a tué son culte. Elle reste fêtée le 4 décembre, avec bien entendu de bonnes bières Belges et des banquets. Actuellement, elle reste un grand symbole des fraternités de pompiers (et toujours un bon prétexte festif). Une tradition provençale consistait à faire germer du blé et des lentilles la nuit du 4 au 5 décembre, présage d’une protection des récoltes l’année qui suit.
Dans les chansons paillardes, Sainte Barbe évoque bien entendu la « forêt de Cythère »… Comme patronne des « artilleurs », l’allusion sexuelle se passe de commentaires.
Et ensuite… ?
En premier lieu, j’associe Sainte Barbe aux divers cultes dédiés à la Terre-Mère dans ses entrailles, particulièrement par les mineurs dans de nombreuses cultures. Je pense à la Fée Reine des métaux dont le peuple est constitué de nains… souvent aperçus dans les mines. Je pense aux Déesses-Mères ornées de serpents (les serpents et les fauves sont souvent de bon augure pour identifier la cachette chrétienne d’un Ancien Dieu).
Je pense à Danaé mère de Persée, enfermée dans une tour d’airain par son père et fécondée par Zeus, Maître de la Foudre, sous forme d’une fine pluie d’or fécondante.
Je pense à Barbelo, une sorte de Sophia Gnostique et véritable Mère du Christ mentionnée dans les fragmentaires Evangiles de Judas.
Je pense aux Dioscures, protecteurs des marins et apparaissant sous forme des feux de Saint-Elme.
Je pense au culte des têtes décapitées dans le monde Celtique (Saint Denis… avatar de Dionysos décapité sur la colline du Sacré-Cœur à Paris), mais également dans le monde Romain : le Capitole doit son nom à la découverte d’une tête humaine « fossilisée ».
Je pense à la Magna Mater, Rhéa-Cybèle : Déesse Phrygienne, initiatrice, de la fertilité et de la terre, divinité de la montagne (Dame d’Ida). Divinité mâle et femelle née de la semence de Zeus tombant sur le mont Dindyme et ensuite émasculée, car trop effrayante par l’envergure de ses pouvoirs. A ce titre, elle fut représentée comme une Déesse androgyne barbue. De ses testicules coupés, tombants sur le sol, naquit un amandier. Une amande chutant dans le sein de Nana, Attis fut conçu et elle l’exposa sur une montagne. Cybèle en tomba amoureuse. Attis préféra la fille du roi de Pessinonte (ou la Nymphe Sagaritis). Dans certaines versions, Attis est « dénoncé » à Cybèle par des bergers et la Déesse frappa ce Roi et Attis de folie qui s’émasculèrent… Attis en mourut et Cybèle en fut inconsolable. Il fut ressuscité sous forme d’un Pin (le thème de la résurrection est bien présent avec Cybèle et Attis, dans une conception naturelle et non morale bien entendu). Les prêtres-eunuques de Cybèle, qui vivaient enfermés dans son temple du Palatin s’appelaient les Galles (la servante de Sainte Barbe s’appelait Gala). Son culte fut introduit à Rome sur base des livres Sybillins en 204 av. JC, une pierre noire fut transportée de son temple de Pessinonte à celui du Palatin. On peut supposer qu’il s’agit d’un météore (tombée du ciel sur le mont Dindymon, manifestation de la semence-foudre de Zeus), qui fut semble-t-il enchâssée dans une idole féminine en argent selon certaines descriptions.
On peut traduire Cybèle par « Déesse à la Hache » ou « Déesse Caverne » selon les auteurs.
Je pense à Parvati-Durga, Déesse des montagnes et des fortifications, aux Déesses Orientales souvent couronnées d’une tour. C’est une Déesse de la puissance constructrice de la nature, mais également des forces civilisatrices et patronne des villes (et donc des techniques associées au travail de la pierre et des métaux).
En contexte Romain, elle fut honorée sous le nom de Rhéa-Sylvia et de Magna Mater en son temple de la pierre noire du Palatin. On peut également associer Cybèle à Fauna et Ops dans le culte de la nature et des forces créatrices et protectrices des récoltes.
Je pense enfin aux Mystères de la Bona Dea (Fauna, Ops) célébrés début décembre, et dont la fête de Sainte Barbe et le rite de germination ont hypothétiquement remplacé ces derniers le 4 décembre dans le calendrier Romain (17 décembre en Orient… début des Saturnales).
Allégoriquement :
La légende de Sainte Barbe pourrait mettre en scène l’âme (Barbe) tombée dans la matière (tour) mais restant toujours Vierge (maîtresse de toutes ses potentialités créatrices). La Tour représente le corps, les trois fenêtres la tripartition corps-âme-esprit. L’identification de l’âme au divin, par le long cheminement dans les « mines intérieures » jusqu’à l’obtention de la pierre par l’Oeuvre Alchimique, mène à la résurrection intérieure et l’immortalité des Sages : la renaissance en l’esprit (décapitation) et l’illumination (foudre).
Pour conclure :
Le culte de Sainte Barbe s’est dopé surtout au 15ème siècle, sa légende prenant corps et s’enrichissant de diverses références symboliques à connotations païennes. Il est à noter que le recueil de la « Légende Dorée » de Jacques de Voragine (13ème siècle) ne mentionne pas l’histoire de Sainte Barbe. Le seul symbole connu de Sainte Barbe avant son essor en Europe du Nord est le paon, attestant de sa résurrection et de sa résistance aux vices du monde… Une symbolique assez simple au départ, même dans l’iconographie Orthodoxe. Sainte Barbe semble donc réellement née il y a 5 siècles.
Les références à Rhéa-Cybèle se concentrent sur :
- Le pouvoir divin de la foudre, le feu céleste
- Le thème de la pierre, tombée du ciel, extraite de la terre et façonnée
- La civilisation et ses techniques de façonnement de la nature, ses sciences et sa sagesse
- Les forces fécondantes de la nature issues du ciel et agissantes sous terre
- Les ressources de la terre et ses secrets cachés
- L’androgynie primordiale et le long chemin du retour à l’unité
- Raffinement de la pierre philosophale à partir de la matière brute première
Je pose ici l’hypothèse que, grâce à la période de la Renaissance, certaines figures chrétiennes ont été volontairement repaganisées sous le boisseau suite à la redécouverte de la mythologie Gréco-Latine et de l’art antique. Je suis bien conscient qu’aucunes traces historiques ne permettent d’étayer cela… Cependant, l’exemple présent me semble assez limpide. Par qui et pour qui ce « réencodage » de la Magna Mater auprès d’une figure mineure du panthéon chrétien ? Je penche pour une source alchimique initiatique sans être spécialiste en la matière.
Si ce genre de réflexion vous intéresse, je continuerai volontiers à mettre un peu d’ordre dans mes notes
pour vous proposer d’autres bizarreries issues de mon cerveau marécageux !
Salutations,
Bacchant